26 juin 2024 à 4h03 par Johan Gesrel

Outrage et harcèlement : 8 mois de prison requis contre l'éleveur de cochon de Montjoi

L’éleveur de cochon laineux de Montjoi (Tarn-et-Garonne), Pierre-Guillaume Mercadal, était poursuivi ce mardi 25 juin devant le tribunal correctionnel de Montauban pour harcèlement moral et outrage à l'encontre de deux élus, un journaliste et une agente municipale.

Pierre-Guillaume Mercadal à la sortie du tribunal de Montauban
Pierre-Guillaume Mercadal à la sortie du tribunal de Montauban
Crédit : Johan GESREL

Un important dispositif policier était déployé autour et à l'intérieur du Palais du Justice de Montauban (Tarn-et-Garonne) ce mardi 25 juin. Il faut dire que le dossier traité devant le tribunal correctionnel concerne deux élus dont Christian Eurgal, maire de Montjoi un village de 170 habitants, toujours placé sous protection policière depuis les récentes menaces de mort reçues via les réseaux sociaux à la suite de la publication d'une vidéo du Youtubeur d'extrême droite Papacito. Au coeur de ce dossier : Pierre-Guillaume Mercadal, un éleveur de cochon laineux âgé de 36 ans, installé à Montjoi. Déjà condamné pour "provocation à la haine" et "injure publique" envers Christian Eurgal, l'agriculteur soutenu par une vingtaine de militants de la Coordination Rurale est poursuivi cette fois pour outrage et harcèlement moral à l'encontre de Jean-Michel Baylet, Christian Eurgal, et Max Lagarrigue journaliste à la Dépêche du Midi. Une agente de la voie publique de la ville de Valence s’est aussi constituée partie civile dans ce dossier.

 

"Je me suis battu pour me faire médiatiser"

A l’origine de ce conflit vieux de cinq ans il y a l’accès à un chemin communal qui permet de rejoindre l’exploitation agricole. Selon l’éleveur, plusieurs cochons auraient été abattus ou empoisonnés au cours de cette période. Faute d'être entendu, Pierre-Guillaume Mercadal tente de plaider sa cause sur Internet avec l'appui de l'influenceur Papacito. "Je veux montrer la réalité de ce qu'ils me font vivre. Je me suis battu pour me faire médiatiser. Tout ce que je veux c'est vivre de mon métier et accéder à mon cheptel." Si ces vidéos au style provocateur et parodiques rencontrent un succès sur la toile, ces dernières engrangent des commentaires haineux et des menaces de mort en direction des élus, du journaliste et de l’agente municipale.

 

"Mélange de mollusque et de merde dans un corps de rongeur"

Pour l'agriculteur, ces commentaires relèvent de la liberté d'expression des internautes. Cependant la présidente du tribunal Virginie Baffet lui fait remarquer qu'il se permet de répondre à ces commentaires citant une phrase pour qualifier le maire de Montjoi : "c'est un mélange de mollusque et de merde dans un corps de rongeur". Sans oublier les messages vocaux et les SMS laissés par l'éleveur sur le portable de l'édile : "Sacré petit polisson", "Papi zinzin". La limite semble atteinte le jour où Pierre-Guillaume Mercadal arrive en mairie avec un de ses cochons morts sur les épaules pour le jeter sur le bureau du maire sous le regard médusé de la secrétaire de mairie. Selon l'éleveur, l'animal aurait été empoissonné. La vidéo atteint le million de vue. Le maire déjà éprouvé se dit à bout. La secrétaire de mairie se demande si elle va continuer à travailler dans ces conditions.

Au cours de l'audience, l'agriculteur est interrogé sur les menaces de morts reçues par Max Lagarrigue, journaliste à la Depêche du Midi suite à une autre vidéo publiée sur les réseaux sociaux. Une vidéo en réaction selon lui aux différents articles consacrés à l'affaire pour laquelle il a été poursuivi. Dans cette séquence, le journaliste spécialisé en faits-divers est nommément cité dans une réthorique ponctuée d'outrages personnels. "La Dépêche a la volonté de me faire passer pour un terroriste. J'ai voulu laver mon honneur", rétorque P.-G. Mercadal. Pourquoi ne pas avoir demandé un droit de réponse ? demande la présidente : "J'en ai eu qu'un... Il faut que je crée mon propre journal finalement."

 

"J'ai encore reçu des menaces de morts sur mon Instagram personnel"

Sur une autre vidéo tournée en caméra cachée, Pierre-Guillaume Mercadal poursuit Jean-Michel Baylet le maire de Valence-d'Agen et président de la Communauté des Communes des Deux Rives sur le marché de la ville pour tenter d'avoir un rendez-vous. La séquence dure 10 minutes ponctuée de messages faisant référence aux condamnations de l'élu et aux liens supposés du journal La Depêche du Midi dont il est PDG avec la collaboration durant la Seconde guerre mondiale. La présidente Virginie Baffet souligne les SMS passés avant et après cette séquence vidéo avec un agriculteur complice censé le prévenir de la venue de l'élu sur le marché : "soit il me fait face et je le fais dégoupiller, j'vais l'assassiner (...) J'vais l'enculer nationalement...la viande est prête..."

Jean-Michel Baylet refuse de parler à l'éleveur tandis qu'une agente de surveillance de la voie publique (ASVP) tente de s'interposer, se faisant alors traiter de "milice". Sur la vidéo son visage est caché par des émoticônes mais sa voix reste intacte. Venue témoigner à la barre, l'agente qui est désormais suivie psychologiquement éclate en sanglots : "je n'ai fait que mon travail. Je suis la seule ASVP femme à Valence-d'Agen. Sur les réseaux tout le monde peut savoir qui je suis. J'ai encore reçu des menaces de morts sur mon Instagram personnel. J'étais pas sa cible mais un dommage collatéral. J'ai une fille qui est inquiète de me voir dans cet état..."

 

Une cagnotte de plus d'un million d'euros brut ?

Au cours de sa plaidoirie, Thierry Deville, avocat de Christian Eurgal et de l'Association des Maires de France, ne mâche pas ses mots : "Si on touche à un élu c'est la République à l'envers. Quand je vous vois j'ai l'impression de voir un cannibale qui a mangé sa mère et son père et se plaint d'être orphelin. Vous êtes Machiavel !" lance l'ancien bâtonnier qui souligne au passage les sommes accumulées par Pierre-Guillaume Mercadal grâce aux différentes cagnottes lancées sur Internet en soutien à son élevage et suite à la mort de son cheptel : "si je fais le compte ça fait plus d'un million d'euros brut". Assez pour réclamer 170 000€ de dommages et intérêts pour le maire de Montjoi, 85 000€ pour son épouse au titre du préjudice moral et 5000€ pour l'Association des Maires de France. "Cette somme, c'est la récompense du vice" ajoute Jean-Yves Dupeux, l'avocat de Jean-Michel Baylet et du journaliste qui réclame pour chacun 40 000€ de dommages et intérêts et l'affichage de la condamnation sur tous les réseaux sociaux de "l'éleveur-influenceur" sous peine d'astreinte.

"Votre souffrance n'est pas une excuse à votre comportement pénal"

Bruno Sauvage, le procureur de la République, s'adresse à Pierre-Guillaume Mercadal : "Vous dîtes informer avec vos vidéos mais vous n'informez pas, vous outrepassez, vous harcelez et vous faîtes souffrir. Votre souffrance n'est pas une excuse à votre comportement pénal".  Il requiert huit mois de prison avec sursis probatoire sur une période de 24 mois, interdiction de rentrer en contact avec les victimes ni de paraître à la mairie de Montjoi, 10 000€ d’amende et 5 ans d’inéligibilité

 

"Le peuple c'est Pierre-Guillaume Mercadal"

Rafaël Mattar et Pierre Egéa-Ausseil les avocats de Pierre-Guillaume Mercadal plaident la relaxe en rappelant qu’à l’origine de cette affaire il y a d’abord et avant tout une demande d’accès à un chemin communal qui dure depuis plus de cinq ans. Un dossier pour lequel l'éleveur n'a pas été entendu. "Si justice civile il y avait eu. Il n'y aurait pas eu de justice pénale". La défense fustige le déferlement médiatique et "les bouffonneries de la presse"dans cette "affaire aux dimension politique." Et de conclure : "le peuple c'est Pierre-Guillaume Mercadal". 

Les juges ont mis leur décision en délibéré au 26 juillet prochain.