Publié : 29 novembre 2023 à 2h17 par Johan Gesrel
Blanchiment à Emmaüs Tarn-et-Garonne : prison avec sursis requise contre le directeur
Le directeur d'Emmaüs Tarn-et-Garonne, son adjoint et leurs deux épouses étaient jugés mardi soir pour blanchiment, abus de confiance et travail dissimulé. Au coeur du dossier : un manque de 57 000€ dans la trésorerie de l'association et des sommes en liquides importantes retrouvées au domicile des deux couples.
La façade du magasin Emmaüs de Montauban
Crédit : Johan Gesrel
De 6 à 12 mois de prison avec sursis, c’est les peines requises par le Ministère Public à l'encontre du directeur d’Emmaüs de Tarn-et-Garonne, de son adjoint et de leurs deux épouses. Tous quatre étaient jugés mardi soir pour blanchiment aggravé, abus de confiance et travail dissimulé devant le tribunal correctionnel de Montauban. Le parquet a requis contre les deux cadres l'interdiction d'exercer une fonction de direction partielle ou totale. Les juges rendront leur jugement le 16 janvier prochain.
"Je n'ai jamais vu autant d'argent en liquide"
Comment expliquer le trou de 57 000€ dans les caisses d'Emmaüs ? C'est tout l'enjeu du procès débuté mardi soir à 18h au tribunal correctionnel de Montauban pour s'achever avant 2h du matin. Sur le banc des prévenus : le directeur départemental d'Emmaüs Tarn-et-Garonne en poste depuis les années 90, son adjoint ancien réfugié arménien et ancien compagnon ainsi que leurs deux épouses. En juin dernier, les deux couples ont été mis en examen pour blanchiment aggravé, abus de confiance et travail dissimulé. Au coeur de l'affaire : la disparition inexpliquée de 57 000€ dans les comptes de trésorerie de l'association caritative qui accueille 240 compagnons et emploie 50 salariés dont une grande majorité en CDI. Suite au dépôt de plainte du président de l'association, les gendarmes ont découvert des sommes d'argent en liquide au domicile des deux couples mais aussi des virements réguliers en espèce sur leurs comptes bancaires : un total de 83 000€ entre 2018 et 2022 pour le directeur, 52 000€ pour son adjoint. "Je n'ai jamais vu autant d'argent en liquide circuler dans un dossier", s'interroge la présidente du tribunal judiciaire Virginie Baffet.
Une comptabilité floue et une caméra de surveillance
Face aux juges, le directeur et le directeur adjoint nient être à l'origine de cette disparition. Tous deux expliquent avoir rencontré des "moments de grande pagaille dans la comptabilité" et constaté des écarts de trésorerie. Les sommes en liquide issues des ventes réalisées sur les quatre sites du département (entre 400 et 500 000€ par an) étaient centralisées au siège de La-Ville-Dieu-du-Temple dans des enveloppes avec les tickets de caisses totalisant les ventes de la journée. Suite à des doutes, une caméra de surveillance a été installée dans le bureau de la comptable. Les vidéos auraient même permis de découvrir deux intervenants "venir se servir". Seulement voilà, cette caméra a été installée sans accord et les images sont restées internes à l'association. Les avocats de la défense auraient d'ailleurs voulu un report de l'audience pour verser ces images au dossier et relancer l'instruction. En vain.
"Avoir de l'argent liquide me sécurise"
Devant le tribunal, le directeur d'Emmaüs Tarn-et-Garonne révèle que les sommes en liquide versées sur son compte proviennent de dons de sa belle-famille finlandaise fortunée et d'argent versé par des dizaines de personnes hébergées dans la maison du couple. "La maison du bonheur" décrite par plusieurs témoins accueille des gens du monde entier pour trois mois ou cinq ans. Chacun verse selon ses possibilités. "Je viens d'une famille d'agriculteurs où j'ai connu la pauvreté", explique le directeur. "Avoir de l'argent en liquide me sécurise. Je ne fais pas forcément confiance aux banques." En parallèle, sa compagne d'origine finlandaise confirme les dons en provenance de sa famille aisée et de proches qui étaient aussi hébergés chez eux. "C'est une habitude culturelle des Finlandais de verser une somme quand on est logé chez quelqu'un."
Arrivé d'Arménie en 2011 en France avec sa femme, le directeur adjoint d'Emmaüs raconte son parcours de réfugié et sa vie d'errance avant d'être accueilli par les compagnons de l'Abbé Pierre. Les sommes en liquide ? "J'ai tout perdu en Arménie, mes biens, mes comptes bancaires. Avoir de l'espèce c'est ce qu'il y a de plus sécurisant si jamais on doit tout perdre. Alors comment expliquer une somme si importante de 52 000€ quand est réfugié ? L'homme justifie cette somme par des économies issues de ventes de véhicules et d'un don de ses parents. "Cela n'a rien avoir avec l'argent qui manque à Emmaüs", insiste le directeur adjoint.
"Des explications illogiques et invérifiables"
Autant d'arguments qui n'ont pas convaincu l'avocate de l'association Emmaüs, partie civile dans ce dossier. Me Angèle Feres-Massol plaide la condamnation des quatre prévenus à rembourser solidairement la somme de 57 000€ qui correspond au manque à gagner de l'assocation. La procureure Lisa Bergereau estime avoir affaire à deux dirigeants qui ont accès à tout moment à l'argent en liquide. "Quand on ne sait pas expliquer la provenance de l'argent on parle d'économie. Ce sont des explications illogiques et invérifiables dans un contexte de gestion calamiteuse et opaque".
La procureure requiert 6 mois de prison avec sursis à l'encontre des deux épouses. Elle demande 8 mois de prison avec sursis probatoire pour le directeur adjoint et l'interdiction d'exercer une fonction similaire à celle qu'il occupe durant deux ans. A l'encontre du directeur d'Emmaüs Tarn-et-Garonne, le Ministère Public requiert 12 mois de prison avec sursis probatoire et l'interdiction définitive d'exercer une fonction de direction et la confiscation des sommes.