Publié : 13 décembre 2024 à 5h58 par Fabien Taccard-Blanchin
Attestation pour la crème solaire ou de l’anti-moustique : « une application de directive par l’absurde »
De nombreuses structures de la petite enfance demandent, en s’appuyant sur un décret datant d’aout 2021, une prescription médicale pour pouvoir appliquer des produits basiques comme de la crème solaire, de l’anti-moustique, ou du gel conter les hématomes. Une application « bête et méchante » des bureaucrates pour un membre de l’ordre des médecins du Tarn-et-Garonne.
Des produits qui ne peuvent plus être donnés aux enfants sans prescription médicale
Crédit : FTB - TOTEM
« Sans prescription médicale l’autorisant expressément, nous ne pourrons pas appliquer sur votre enfant des solutions anti-moustiques, gel contre les piqures, gel contre les hématomes, crème solaire… ». Voici ce qu’ont récemment reçu par mail certains parents de la part de structures de la petite enfance.
Ces structures, qui mettent en avant le décret n°2021-1131 du 30 aout 2021 (permettant la délivrance d’un traitement médical par un professionnel de la structure d’accueil), justifient cette demande en précisant que de nombreuses substances dites « de confort » en vente libre en pharmacie, contiennent en réalité un principe actif « nécessitant une autorisation ».
Une demande justifiée sur le plan strictement légal confirme pour Totem le médecin généraliste François-Marie Trinques, installé en libéral à Montauban depuis une dizaine d’année.
« Stricto sensu, la crème pour les fesses, la crème hydratante ou l’anti-moustique rentrent dans la définition de cette ordonnance et devraient au terme de la loi nécessiter une prescription médicale. Ils ne sont pas classés comme des médicaments, mais la présence d’un principe actif les fait rentrer dans la définition du texte. »
Pourtant, le Dr Trinques, conseiller ordinal à l’ordre des médecins du Tarn-et-Garonne depuis 6 ans, refuse de délivrer ces ordonnances.
« Ma position personnelle, c’est de le refuser systématiquement. J’explique bien aux parents que mon temps est bien plus précieux que cela, qu’ils seront plutôt contents que j’occupe mon temps à soigner leur enfant plutôt qu’à remplir ces documents complètements inutiles. Et si les crèches veulent m’envoyer les enfants pour que je leur prescrive, ou mette moi-même de la crème solaire, je le ferai. Mais ça va mal se passer. »
"UTILISER CES CRENEAUX POUR SOIGNER QUELQU'UN DE MALADE"
A la base cette ordonnance a été publiée parce que certaines crèches avaient tendance à refuser tous les enfants qui pouvaient être porteurs de maladies chroniques ou qui pouvaient nécessiter la prise d’un traitement journalier explique le Dr Trinques.
« Ils les refusaient, au titre qu’eux n’étaient pas soignant, et qu’ils ne pouvaient pas donner un médicament, même un médicament aussi simple qu’un doliprane. Donc le législateur, pour permettre à ces enfants d’accéder légitimement à ce mode de garde, a décrété qu’à partir du moment où il y a une ordonnance, les non-soignants, les personnels d’accompagnement, sont capables d’administrer un médicament. Comme le fait un parent, on leur demande de faire ce que feraient un papa ou une maman. »
Donner un médicament, ça n’a rien de technique rajoute François-Marie Trinques, ça ne nécessite pas de compétence médicale. C’est surtout une couche supplémentaire dans le mille-feuilles administratif du médecin généraliste ou pédiatre, un mille-feuilles pourtant déjà bien épais.
« Souvent les parents nous le demandent en plus quand ils viennent pour une consultation. C’est assez rare qu’ils ne viennent que pour ça, mais ça arrive quand même, qu’ils réservent de bonne foi un créneau de consultation pour nous demander ce document. Créneau qu’on aurait pu utiliser pour soigner quelqu’un de malade, plutôt que remplir un document. Dont le bon sens montre qu’il est inutile. »
"UNE APPLICATION BÊTE ET MECHANTE PAR DES BUREAUCRATES"
Une application par l’absurde pour celui qui se définit comme médecin de famille.
« C’est une directive qui à la base avait un sens qui n’était pas du tout celui-là. Le sens de l’ordonnance a été complètement dévoyé. Et c’est l’application bête et méchante par des bureaucrates d’une directive qu’ils n’ont pas compris. Associée à l’effet parapluie bien connu, qui fait qu’aujourd’hui on nous demande des certificats pour tout et n’importe quoi, de manière à surtout ne pas être responsable de quoi que ce soit. »
La preuve avec un nouvel exemple :
« La semaine dernière encore, on m’a demandé un certificat pour autoriser une élève à aller aux toilettes entre les cours. Je ne dis pas pendant les cours, mais entre les cours. On en est là. »
Au-delà de la problématique pour les parents, et du manque de créneau disponible pour les médecins généralistes (où il est très compliqué de trouver un médecin pour un nouvel arrivant), c’est aussi la question de l’attractivité du métier qui se pose.
« Beaucoup de jeunes disent "faire 10 ans d’étude pour remplir ce genre de document, ce n’est même pas la peine". Donc ils vont faire autre chose ».